Démembrement de propriété
Origine du démembrement
L’usufruit peut résulter d’un décès.
L’usufruit successoral peut provenir 1) de la loi (usufruit légal art. 757 CC), 2) d’une donation de biens à venir (art. 1094-1 D.D.V), 3) d’un testament (legs de l’usufruit/nue-propriété), 4) d’une convention matrimoniale (préciput sur l’usufruit).
Pour l’usufruit issu de la loi (art 757 CC) en présence d’enfants communs, le conjoint doit choisir entre le ¼ en pleine propriété de tous les biens ce qui implique une indivision ou 100% en usufruit sur l’intégralité des biens ce qui implique un démembrement de propriété (pas de cantonnement possible).
Pour l’usufruit issu d’une donation au dernier vivant (art 1094-1 CC) le conjoint doit choisir entre l’une des trois quotités disponibles spéciales suivantes : ¼ Pleine propriété et ¾ en usufruit (le conjoint a ici 100% de l’usufruit, il est en indivision sur la nue-propriété), la quotité disponible ordinaire (quotité en pleine propriété) qui implique une indivision, ou encore 100% en usufruit qui implique un démembrement de propriété avec cantonnement possible.
L’usufruit issu d’un testament par exemple « Je lègue l’usufruit de ma succession à mon conjoint et la nue-propriété de ma succession à mes enfants » où le cantonnement est possible. L’usufruit reviendra au conjoint survivant et les enfants seront en indivision sur la nue-propriété.
Pour l’usufruit issu d’une convention matrimoniale, le démembrement pourrait aussi résulter d’un avantage matrimonial, par exemple une clause de préciput permettant au conjoint de prélever des biens de la communauté sans contrepartie. La clause de préciput pourrait être exercée en usufruit seulement, le conjoint recueillant l’usufruit et la succession la nue-propriété. L’avantage matrimonial ne peut faire l’objet d’un cantonnement.
Attention pour l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière) : si l’usufruit résulte de l’article 757 CC (usufruit légal) alors il y a répartition à l’IFI entre usufruitier et nu-propriétaire (valeur fiscale 669 CGI). Si l’usufruit successoral est conventionnel c’est-à-dire résulte d’une libéralité ou d’une convention matrimonial alors l’usufruitier déclare la valeur du bien en pleine propriété à l’IFI.
Le démembrement peut résulter d’une opération d’ingénierie.
Opérations à titre gratuit avec donation ou opérations à titre onéreux avec acquisition ou cession.
Pour la donation de la nue-propriété on parle de donation avec réserve d’usufruit.
Pour la donation de l’usufruit, elle permet de procurer des revenus à une personne qui en a besoin et permet de sortir le bien de l’assiette taxable de l’IFI. C’est une technique adaptée pour les enfants étudiants ou dans le besoin, ou pour les parents dépendants.
Pour la mutation à titre onéreux, attention à l’article 918 du Code civil : « La valeur en pleine propriété des biens aliénés, soit à charge de rente viagère, soit à fonds perdus, ou avec réserve d’usufruit à l’un des successibles en ligne directe, est imputée sur la quotité disponible. L’éventuel excédent est sujet à réduction. Cette imputation et cette réduction ne peuvent être demandées que par ceux des autres successibles en ligne directe qui n’ont pas consenti à ces aliénations. »
La présomption est irréfragable (quand bien même le prix a été effectivement versé…).
La durée du démembrement : l’usufruit est un droit temporaire. L’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre à la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance. Article 578 Code civil. L’usufruit est un droit de jouissance directe (l’usus) et indirecte (le fructus). Le démembrement est une division de la propriété.
Economiquement l’usufruitier est propriétaire des revenus immédiats jusqu’à extinction de l’usufruit puis au-delà le nu-propriétaire est propriétaire des revenus futurs. Le démembrement est donc un partage de la propriété dans le temps. L’usufruitier est titulaire d’un droit aux revenus immédiats maison droit est temporaire puisqu’il est amené à s’éteindre. Il peut donner son droit, il peut le céder mais il ne peut léguer son droit. Le nu-propriétaire est lui titulaire d’un droit aux revenus différé : un droit à la propriété future. Son droit est perpétuel, il ne s’éteindra pas : il peut donner son droit, il peut le céder, il peut léguer son droit.
L’usufruit est à durée indéterminé = usufruit viager qui porte sur la tête d’une personne physique ou bien l’usufruit est à durée indéterminée = usufruit temporaire ou usufruit à durée fixe mais l’usufruit reste au maximum viager. L’usufruit à durée fixe peut être conventionnel (exemple : pour 10 ans ; jusqu’à tes 25 ans) ou légal, imposé par la loi (usufruit des parents sur les biens de leurs enfants de moins de 16 ans, usufruit accordé à une personne morale de 30 ans maximum).
Les usufruits successifs sont des usufruits constitués au profit de plusieurs personnes devant en jouir l’une après l’autre.
L’usufruit successif est civilement une donation à terme de biens présents. En conséquence la vente du bien ne peut plus se faire sans l’accord de l’usufruitier successif et le prix de cession doit être réparti entre les trois parties. Fiscalement l’usufruit successif est une donation assortie d’une condition suspensive (le droit d’usufruit ne naissant qu’à la réalisation de la condition). Il en résulte que 1) les nus-propriétaires paient des DMTG dès le jour de la donation en fonction du seul usufruit ouvert, 2) l’usufruit successif n’est taxé qu’au décès du 1er usufruitier aux droits de succession, et 3) les nus-nus-propriétaires ont droit à une restitution de droits à l’ouverture de l’usufruit successif (à demander au fisc).
La réversion d’usufruit est un usufruit successif consenti au conjoint.
L’usufruit s’éteint par la mort de l’usufruitier, par l’expiration du temps pour lequel il a été accordé, par la consolidation ou la réunion sur la même tête des deux qualités d’usufruitier et de propriétaire, par le non usage du bien pendant 30 ans, par la perte totale de la chose sur laquelle l’usufruit est établi.
La fin du démembrement peut être la vente du bien démembré. « En cas de vente simultanée de l’usufruit et de la nue-propriété d’un bien, le prix se répartit entre l’usufruit et la nue-propriété selon la valeur respectives de chacun de ces droits, sauf accord des parties pour reporter l’usufruit sur le prix. » Art. 621 CC.
Autre cause d’extinction organisée est l’apport de droits démembrés à un société. En principe les apports sont rémunérés par la remise de parts en pleine propriété mais par subrogation conventionnelle il peut y avoir remise de parts démembrées.
Quant à la renonciation à usufruit c’est soit une renonciation translative avec la volonté de gratifier (acte bilatéral de donation) soit une renonciation abdicative avec volonté d’abandonner (acte unilatéral).
Une autre cause d’extinction est la conversion de l’usufruit en rente viagère ou en capital uniquement pour les démembrements d’origine successorale entre un conjoint survivant et les héritiers. La conversion en rente peut être demandée par le conjoint ou par les enfants (on peut donc imposer la conversion – sauf sur la résidence principale-. La conversion en capital doit être demandée par le conjoint et les enfants (on ne peut donc pas imposer la conversion en capital).
L’extinction contentieuse est elle assez rare pour par exemple sanction d’un comportement fautif de l’usufruitier (abus de jouissance).
« La réunion de l’usufruit à la nue-propriété ne donne ouverture à aucun impôt ou taxe lorsque cette réunion a lieu par l’expiration du temps fixé pour l’usufruit ou par le décès de l’usufruitier. » Article 1133 CGI
Attention à la présomption de fraude de l’article 751 du CGI : « Est réputé au point de vue fiscal faire partie, jusqu’à preuve contraire, de la succession de l’usufruitier, toute valeur mobilière, tout bien meuble ou immeuble appartenant pour l’usufruit au défunt et pour la nue-propriété à l’un de ses présomptifs héritiers ou descendants d’eux, même exclu par testament ou ses donataires ou légataires institués même par testament postérieur, ou à des personnes interposées, à moins qu’il y ait eu donation régulière et que cette donation, si elle n’est constatée dans un contrat de mariage, ait été consentie plus de trois mois avant le décès … »
C’est une présomption simple. Il faut donc apporter la preuve contraire par emprunt bancaire, par relevés de compte, ou par convention de remploi, l’origine des fonds permettant au nu-propriétaire d’acheter la nue-propriété.
L’assiette du démembrement :
Le démembrement sur des immeubles :
Le droit de jouissance direct (occupation de l’immeuble) ou de jouissance indirect (location de l’immeuble, perception des loyers) appartient à l’usufruitier. La répartition des charges de l’article 605 CC fait que l’usufruitier est tenu aux réparations d’entretien et que le nu-propriétaire est tenu aux grosses réparations. Les grosses réparations sont celles qui intéressent l’immeuble dans sa structure et sa solidité générale. La convention peut déroger à cette répartition. Le nu-propriétaire peut contraindre l’usufruitier à faire les travaux mais l’usufruitier ne peut contraindre le nu-propriétaire à faire les travaux d’où l’intérêt de faire une convention de démembrement qui rendra l’obligation réciproque. Fiscalement pour le nu-propriétaire les travaux sont déductibles si l’immeuble est donné en location dans la catégorie revenu foncier (déductible des revenus fonciers existants ou sinon déficit imputable sur le revenu global jusqu’à 10 700 €, le surplus sur les revenus fonciers existants sur 10 ans).Quant aux intérêts d’emprunt le nu-propriétaire peut les déduire si l’immeuble est donné en location par l’usufruitier, que les loyers sont imposés en revenu foncier et que le nu-propriétaire a d’autres revenus fonciers. Pour les logements dont l’usufruit est détenu temporairement par un bailleur social, les intérêts sont toujours déductibles pour le nu-propriétaire.
Pour les prérogatives politiques, l’usufruitier signe seul tous les baux dont la durée est inférieur à 9 ans. L’usufruitier ne peut pas signer seul les baux commerciaux et le bail rural.
Pour un immeuble en copropriété, nu-propriétaire et usufruitier sont de plein droit, à défaut de convention contraire, représentés par le nu-propriétaire.
Article 599 al.2 CC : « L’usufruitier ne peut, à la cessation de l’usufruit, réclamer aucune indemnité pour les améliorations qu’il prétendrait avoir faites, encore que la valeur de la chose en fût augmentée ».
Démembrement de parts ou actions de société :
L’usufruitier est considéré comme n’ayant pas la qualité d’associé. Cass, 3ième civ. 16 fév. 2022, n°20-15,164. Toujours faire en sorte que l’usufruitier ait une part en pleine propriété.
Dans les sociétés par actions (art. L225-110 C.Cce) : l’usufruitier vote dans les AGO, le nu-propriétaire vote dans les AGE. Pour les sociétés autres que celle par actions (article 1844 Code civil), le droit de vote est au nu-propriétaire sauf pour l’affectation des bénéfices, pouvoir est alors donné à l’usufruitier. Les statuts peuvent déroger à ces principes 1) en donnant tous les droits de vote à l’usufruitier, le nu-propriétaire devant être convoqué aux assemblées, 2) en donnant plus de droits de vote au nu-propriétaire, l’usufruitier devant toujours voter la décision d’affectation.
Si le résultat est porté en report à nouveau il appartient à la société. Si le résultat est distribué, tous les résultats mis en distribution sans distinction de leur origine, deviennent alors des dividendes et appartiennent donc à l’usufruitier. Pour la distribution de réserves il existe deux arrêts contradictoires, l’un Cass. Com., 27 mai 2015, n°14-16.246, qui attribue à l’usufruitier cette distribution et l’autre, Cass., 1ère civ., 22 juin 2016, n°15-19.471 et n°15-19.516, qui attribue au nus-propriétaires cette distribution. En conséquence il est recommandé de prévoir dans les statuts le sort de la distribution des réserves. Attention à une mise en réserve massive non justifiée, l’administration fiscale pourrait y voir un abus de droit pour éluder la charge fiscale.
Fiscalement si la société est à l’IR (impôt sur le revenu) l’impôt sur le résultat courant est payé par l’usufruitier et l’impôt sur le résultat exceptionnel par le nu-propriétaire. Des aménagements sont possibles dans les statuts ou par convention : faire alors accorder le civil au fiscal.
Pour les déficits selon l’administration ils reviennent de droit au nu-propriétaire mais le Conseil d’Etat, 8 nov. 2017, 10ième et 9ième ch. Réunies, n°399764 et 28 sept. 2018 n°408029, a jugé que même sans convention fiscale, le déficit est désormais déductible pour l’usufruitier.
Démembrement sur un portefeuille titre :
Le démembrement porte sur le portefeuille et non pas sur les titres. Le compte titre doit être ouvert en démembrement de propriété. L’usufruitier a le droit de gérer de gérer seul le portefeuille sous sa seule signature. Financièrement l’usufruitier a droit aux dividendes et coupons. Il n’a pas droit aux plus-values qui doivent être réinjectées dans le portefeuille. L’usufruitier a l’obligation de conserver la substance du portefeuille et doit donc gérer de manière prudente « en bon père de famille. » Le nu-propriétaire a droit à l’information (communication par l’établissement financier) et le droit de contester (article 618 CC, abus de jouissance). Fiscalement pour les cession puis remploi c’est le nu-propriétaire qui paye l’impôt. Il est toutefois possible sur option expresse et irrévocable que cette plus-value soit imposable au nom du seul usufruitier (option possible uniquement si le démembrement a une origine successorale, RM Trillard du 12 février 2004).
Le régime du quasi-usufruit :
« Si l’usufruit comprend des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, comme l’argent, les grains, les liqueurs, l’usufruitier a le droit de s’en servir, mais à la charge de rendre, à la fin de l’usufruit, soit des choses de même quantité et qualité, soit leur valeur estimée à la date de la restitution. » Article 587 du code civil.
L’usufruitier est ainsi un quasi propriétaire. Il doit rendre un bien équivalent, en nature ou en valeur, au décès du quasi-usufruitier. Il appartient donc aux héritiers de rembourser la dette de quasi-usufruit. Cette dette viendra au passif de la succession du quasi-usufruitier. On évalue la créance de quasi-usufruit à la date de restitution sauf pour les sommes d’argent (pas de réévaluation). Le nu-propriétaire est créancier, propriétaire d’une créance de restitution. Pour se protéger d’une insolvabilité le nu-propriétaire peut demander un inventaire (art 600 CC), demander une caution (art 601 CC), imposer l’emploi (art 602 CC ou 1094-3 CC). Attention aux dispenses d’inventaire. A défaut de caution le nu-propriétaire peut imposer l’emploi des sommes (art 602 CC). Attention ici aussi aux dispenses de caution. L’emploi des sommes met fin au quasi-usufruit. On substitue un bien non consomptible à un bien consomptible. Pour l’obligation d’emploi l’article 602 du régime général est supplétif tandis que pour le démembrement entre conjoint et enfants résultant d’une libéralité (DDV ou testament entre époux), l’article 1094-3 est d’ordre public. Remarque : il est possible de créer un quasi-usufruit conventionnel sur des biens qui ne sont pas consomptibles au premier usage (en général sur des biens fongibles) tel sur un portefeuille de valeurs mobilières (c’est alors l’usufruitier qui prend en charge l’impôt de plus-value et perçoit les plus-values, sans obligation de remployer ni conserver la substance), sur les meubles meublants et les véhicules (évite l’article 589 CC avec obligation de rendre les biens dans l’état où ils se trouvent), sur des contrats de capitalisation …
Pour un quasi-usufruit conventionnel pour que la créance de restitution soit déductible au passif de la succession il faut que la convention de quasi-usufruit soit opposable à l’administration c’est-à-dire par acte authentique ou sous seing privé enregistré.
Depuis 2024 pour les donations de la nue-propriété de sommes d’argent, la créance de restitution n’est pas déductible de l’actif successoral (article 774 bis du CGI).
L’évaluation des droits démembrés :
L’évaluation fiscale de l’usufruit viager s’établit en fonction de l’âge de l’usufruitier selon l’article 669 du CGI. Par exemple pour un âge de l’usufruitier de 61 à 70 ans l’usufruit est égal à 40% et la nue-propriété à 60%. Pour un usufruit temporaire à durée fixe c’est égal à 23% par période de 10 ans. L’usufruit temporaire ne peut avoir une valeur supérieure à celle de l’usufruit viager.
L’évaluation fiscale est obligatoire pour les droits d’enregistrement (droits de mutation à titre gratuit, donation et succession, et droits de mutation à titre onéreux, droits de vente).
Sinon c’est une évaluation économique qu’il faut faire : on actualise alors les revenus nets R1, R2, …., Rn où n = espérance de vie de l’usufruitier ce qui donne usufruit = somme de t=1 à t=n de Rt/(1+i)t avec i = taux d’actualisation.